3) Dommages de travaux publics et d'ouvrages publics dus au bruit

En droit, les infrastructures de transports terrestres (routes, autoroutes, voies de chemin de fer) sont considérées comme des « ouvrages publics », c'est-à-dire (selon la définition donnée par la jurisprudence administrative) comme des immeubles, ayant fait l’objet d’un aménagement particulier et affectés à une destination d’intérêt général.

Or le fait pour une route ou pour une voie de chemin de fer, par exemple, d’être considérée comme un ouvrage public a des conséquences sur le régime applicable à l’indemnisation des nuisances sonores qu’elle génère pour ses riverains. Ces nuisances peuvent engager la responsabilité de la puissance publique, même sans faute, et entraîner une indemnisation de dommages dits de travaux publics sur le fondement de la vielle loi napoléonienne du 28 pluviôse an VIII.

Ce système de responsabilité peut, au moins en théorie, s’avérer avantageux pour les victimes habituelles des nuisances sonores provoquées par le fonctionnement d'une route ou d’une voie ferrée, parce que le juge administratif appuie sa jurisprudence sur le principe de la « rupture de l'égalité des citoyens devant les charges publiques » ou sur la « responsabilité fondée sur le risque » et non sur la faute de l'Administration car il n'y a en principe pas de faute à agir dans l'intérêt général.

Ainsi, l'Administration, l'Etat ou une collectivité locale maître d'ouvrage de la route ou de la voie ferrée bruyante peut engager sa responsabilité, alors même qu'ils n'ont commis aucune faute.

Les victimes « n'ont qu'à » prouver l'existence du dommage et le lien de causalité entre celui-ciet les ouvrages ou travaux publics incriminés pour obtenir, le cas échéant, une indemnisation.

La jurisprudence, hélas, retient cependant, le plus souvent, que l'ouvrage n'a causé en lui-même aucun dommage (C.A.A. de Nantes., 8 juill. 1993, Guillemot, n° 92NT00221) et les cas d'indemnisation sont plutôt rares dans les faits, on va voir pourquoi.

Le dommage, pour être indemnisable, doit en effet répondre à trois caractéristiques simultanément :

- il doit être non accidentel ;

- il doit être anormal ;

- il doit être spécial.

Par opposition aux dommages accidentels, le juge définit le dommage non accidentel comme un événement se réalisant en permanence, c’est le cas pour le bruit d'une route ou d'une voie ferrée. Cette notion de dommage non accidentel peut s'apparenter à la théorie, utilisée en droit civil, d'inconvénients anormaux de voisinage.

Mais le dommage indemnisable doit également être également qualifié d’anormal par le juge lorsqu’il dépasse ce que peuvent supporter les membres de la collectivité sans compensation. C’est à dire les gênes et inconvénients ordinaires de la vie en société ou le seul de l’acceptable. Pour accorder un droit à indemnité, le juge administratif relève que le dommage « excède les troubles ou inconvénients normaux de voisinage » ou « les inconvénients normaux du voisinage d'un ouvrage public ».

Constitue ainsi par exemple un préjudice anormal le fait pour les riverains d’une déviation construite en remblai de subir les nuisances de cette voie nouvelle située seulement entre 19 et 30 mètres de leurs habitations respectives. Les inconvénients (tels qu’ils résultaient des mesures de bruit faits par l’administration) engendraient des gênes diverses et notamment des bruits dont l’intensité, telle qu'établie par les mesures de bruit produites par l'administration, excédait les inconvénients que doivent normalement supporter, dans l'intérêt général, les propriétaires de fonds voisins des voies publiques  (CAA de Nancy, 2ème ch. 7 oct. 1993, Ministre de l’équipement du logement et des transports c/ Epoux Camus).

Enfin, troisième caractéristique, le préjudice indemnisable doit également pouvoir être qualifié de spécial par le juge administratif.

Un dommage peut être qualifié de spécial par le juge lorsque seuls certains membres de la collectivité (une personne isolée le plus souvent) sont touchés par la nuisance. On parle alors de rupture de l'égalité devant les charges publiques, par rapport au reste de la collectivité. A contrario, on imagine mal en effet d'indemniser de la même façon, l'ensemble des populations touchées par exemple à des degrés divers par la présence d'infrastructures de transports sur le territoire national. cela coûterait trop cher aux finances publiques qui, comme chacun le sait, ne sont pas au mieux en ce moment.

Est ainsi considéré comme un dommage à la fois anormal et spécial dans le cas d’une infrastructure de transports terrestres, le bruit provoqué par la création d’une rocade de contournement d’une agglomération qui s'élevait à plus de 20 000 véhicules par jour et faisait apparaître une pression acoustique moyenne maximale comprise entre 64 db(A) et 65,5 db(A) pour la période de 8 h à 20 h en façade et entre 53,1 dh(A) et 53,6 db(A) pour la même période côté jardin ; qu'en particulier ces mesures montrent que, le dimanche, la pression acoustique peut atteindre 67 db(A) et être, ponctuellement, encore plus élevée ; qu'à ces niveaux, 1 db(A) supplémentaire correspond à un accroissement très sensible du niveau de bruit ; que, dans ces conditions, la présence de cette rocade engendre des bruits dont l'intensité excède les inconvénients que doivent normalement supporter dans l'intérêt général les propriétaires de fonds voisins des voies publiques ; qu'il est constant que les nuisances supportées par les intéressés sont réelles et importantes.

Une restriction peut encore s’ajouter au tableau : la possibilité pour le maître d'ouvrage de la route ou de la voie ferrée d’invoquer l’antériorité

La responsabilité de la puissance publique peut être en effet et en principe exonérée si l'installation, génératrice de nuisances, existait avant l'arrivée des plaignants.

Cependant, pour indemniser les victimes de nuisances causées par un ouvrage public, alors que celles-là étaient installées avant celui-ci, le juge va tout de même contrôler si les requérants pouvaient s'attendre à la construction de l'ouvrage public.

La responsabilité de la personne publique peut ainsi être engagée lorsque :

  • les requérants ont acquis leur appartement un an avant la construction d'une centrale de climatisation, dès lors que la centrale provisoire ne causait aucune gêne (T.A. de Paris, 29 avril 1981, M. et Mme Paul, in Les nuisances sonores , p. 97) ;
  • un simple bureau de poste a été transformé en un centre de tri, ce que les propriétaires de l'appartement situé au-dessus ne pouvaient pas prévoir (C.E., 20 mars 1968, Ministre des Postes et Télécommunication c. Scalia, cité in La vie Communale et Départementale).

En revanche, à partir du moment où des personnes demandent réparation du préjudice subi du fait de nuisances causées par un ouvrage public alors qu'elles connaissaient l'existence de la construction projetée, le juge :

- rejette purement et simplement leurs prétentions (C.A.A. de Paris, 9 juill. 1991, Syndicats des copropriétaires de la résidence de la Défense « Exprodef 1 et Exprodef 2 », n° 89PA01235) ;

- ou diminue l'indemnisation (T.A. de Rouen, 27 mai 1983, Épx Gwiazdowski).

Dans certains cas, les requérants pourront néanmoins obtenir réparation si, postérieurement à leur installation, c’est le cas en l’occurrence :

- les nuisances sont apparues (C.A.A. de Nancy, 20 oct. 1994, M. et Mme Tyran, n° 93NC00545 : à propos d'une installation sportive génératrice de nuisances prévue par la commune avant que les requérants n'acquièrent leur terrain, ces derniers ne pouvaient cependant pas imaginer la nature et l'importance des nuisances qu'allaient provoquer cette installation) ;

- ou se sont accrues (C.E., 9 fév. 1983, Cne de Malansac, n° 28.544 : à propos d'une bascule publique dont la portée était passée de 15 à 50 tonnes).

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